All Mecen reçoit : Mina Murray
Modèle à l’origine, Mina Murray découvre un jour le polaroid. Attirée et passionnée par l’objet et les photos qu’il produit, Mina fait ses classes et dévoile finalement son univers mêlant obscurité, fragilité et sensibilité.
Tu travailles presque exclusivement au polaroid, depuis combien de temps et comment l’as-tu découvert ?
Cela fait à peu près 4 ans. Avant je ne connaissais pas du tout ! Une nuit où je n’arrivais pas à dormir, je trainais sur des sites et blogs de photos, et je vois une image qui me plaît énormément. C’était un polaroid mais je l’ignorais. Il y’avait le nom de l’artiste : Philippe Bourgoin. Je lui ai écrit en lui disant que je voulais poser pour lui, alors que je ne connaissais pas le monde du modèle alternatif. Il a accepté, nous nous sommes rencontrés, et c’est là que j’ai vraiment découvert le pola ; j’ai trouvé ça magique. De voir les films se développer, la beauté instantanée des couleurs… Le contraste avec la froideur des photos numériques brutes étaient saisissant.

Mina Murray
Deux mois plus tard, j’achetais mon premier appareil, le moins cher que je trouvais sur internet, et je commençais à faire mes propres polas. En parallèle, je continuais à poser pour Philippe Bourgoin, puis je suis devenu son assistante, il m’a appris énormément de choses. Aujourd’hui c’est un très bon pote.
Peux-tu nous parler du « modèle alternatif » ? Est-ce en opposition au mannequinat classique ?
Oui. Pour moi c’est un univers plus ouvert où les nanas ne font pas 1m80 pour 45 kilos et peuvent tenter leur chance. C’est très vaste en fait : ça va des filles percées ou tatouées aux filles qui n’ont simplement pas le physique d’un mannequin classique et qui posent pour un projet artistique.

Mina Murray
Cela rejoint la question de la maigreur et du physique dans la mode.
Oui, c’est une question intéressante. Certains projets de mode sont très beaux, mais c’est bien que des filles comme Romy ou moi puissions poser sans rentrer dans ces fameux critères. C’est vrai qu’il est plus dur de trouver du boulot et des collaborations quand tu as une gueule particulière, que tu es un peu ronde, etc. Je l’ai ressenti les rares fois où j’ai fait des photos de mode, j’ai reçu des petits commentaires du style : « ah dis donc, tu as pris des cuisses depuis la dernière fois ! »
Je n’ai jamais rencontré autant de cons que quand j’étais modèle. Pendant une période, c’était ma principale source de revenus, donc je courrais les shootings. S’était installé une sorte de frénésie, je participais à des photos que je ne trouvais pas forcément belles, à des projets sans intérêt. Je suis quelqu’un d’assez peu sûre de moi, donc avoir de belles photos de moi, cela me rassurait. Il y’avait quelque chose de l’ordre de l’ego trip. Désormais je ne pose plus que pour des potes.

Mina Murray
Ton univers photographique est assez sombre. Peux-tu nous en dire plus ?
Mes photos correspondent à des choses que j’ai envie de sortir de moi. Quand j’étais ado, je n’étais pas super joyeuse, j’en ai pas mal chié durant mon adolescence. C’est aussi ça que j’essaye de transmettre via mes photos, des traumas, des non-dits, des rêveries. Et puis j’aime la fragilité chez les gens, elle m’intéresse. Je veux qu’il y‘ait quelque chose de dérangeant lié à cette fragilité. Ceci dit, j’aime mettre en valeur mes modèles, que les filles soient jolies et désirables sans le côté cul-cul la praline.
Te revendiques-tu, comme Romy Alizée de la mouvance queer ou du féminisme ? La sexualité et l’érotisme présents dans tes photos font-ils partie d’une démarche politisée ?
Je ressens plus mon travail comme une démarche personnelle. J’ai des opinions, mais je ne me sers pas de mes images pour porter un étendard. C’est pour moi ou pour la personne que je photographie. Si celle-ci a des choses à raconter.
Je ne suis pas franchement féministe dans le sens où je ne prends pas d’engagement sur la question, je ne manifeste pas. Mais je ressens un certain plaisir à faire mon trou en tant que meuf photographe qui ne bosse quasi qu’avec des meufs. C’est le petit côté girl power de mon travail… Il est plus difficile d’être prise au sérieux en tant que nana quand tu fais de la photo. Plusieurs fois j’ai ressenti cela, à cause de mon âge, mon sexe, ou parce que j’ai commencé en étant modèle… Je constate que ce sont souvent les mecs derrière la caméra et les filles devant et que la condescendance ou les piques subtilement sexistes ne sont pas rares. Souvent, je dis à mon pote Philippe Bourgoin : « parfois, ce serait plus simple si j’étais un mec de 60 ans ! » L’âge t’apporte une certaine maturité, une crédibilité.
En ce qui concerne la nudité, je trouve que les vêtements représentent une difficulté supplémentaire, au même titre que le maquillage. L’absence de vêtements me simplifie la tâche, et ça rend les photos plus crues et intemporelles, ce qui me plaît. Cependant, ce ne sont pas des photos pornos.

Mina Murray
Pour une jeune modèle qui débute, c’est peut-être plus rassurant de poser pour une femme de 24 ans que pour un homme de 60 ans, non ? Je dis cela par rapport aux attouchements et aux viols qui sont courants dans le milieu.
Oui, il y a plein de gens mal intentionnés dans le milieu de la photo, pas nécessairement que des hommes d’ailleurs. Ce qui est frustrant c’est que ces gens profitent de ce qui est intéressant pour la photographie : la fragilité du modèle, la peur que peut dégager une première fois devant la caméra. C’est un milieu super sale. Une nana jeune, de 18-19 ans qui ne connaît personne et veut commencer à poser doit faire très attention. Avec un peu plus d’expérience, tu as plus d’armes pour te défendre ; tu parles avec les autres modèles et les infos s’échangent sur les photographes : lesquels sont bons, lesquels sont chelous ou à éviter à tout prix. J’ai aussi fait de superbes rencontres, avec des gens pas normés pour qui cela reste l’occasion de créer et partager.
Quelles sont tes influences ?
J’adore la photographie asiatique, particulièrement Daido Moriyama et Nobuyoshi Araki issus du mouvement ‘Provoke’ centré autour du brut, du bougé, du flou…
J’ai une tendresse et une admiration toute particulière pour Francesca Woodman, l’urgence et la maîtrise de son art m’émeuvent. Je suis également fascinée par les travaux d’Egon Schiele et de Francis Bacon, les films de Kubrick et de Dario Argento, et la poésie sauvage d’Olivier de Sagazan (j’adorerais bosser avec lui un jour, ceci est une bouteille à la mer !)
La musique de manière générale me donne également beaucoup d’idées, elle passe de tes oreilles à ton imaginaire quelque soit ta langue ou ton background.
Ceci dit, j’ai cassé les oreilles de tous mes potes cet été en jouant en boucle les premières mesures de « Come as you are » de Nirvana , donc je crois que ce n’est pas fait pour moi ! (rires)
Quels sont tes actualités et les projets dont tu as envie de parler ?
J’ai en ce moment et jusqu’à fin décembre une exposition au Petit Joseph Dijon. J’y présente un melting pot d’images numériques, argentiques et Polaroid que j’ai réalisées ces dernières années. Allez-y ! J’y passe assez régulièrement et les patrons sont des gens chouettes.

Mina Murray
En termes de projets, j’ai repris des études d’art cette année ; c’est assez étrange car j’aime apprendre mais je n’ai jamais vraiment aimé l’école… Mais l’occasion s’est présentée, j’ai donc mis pour l’instant les shootings de côté pour me consacrer à des réalisations différentes et nouvelles : dessins, poupées, collages, petits films. J’ai l’occasion de toucher à tout et c’est agréable car en tant que néophyte, je prends du plaisir sans pression. Mon projet est donc de finir mon année sagement pour apprendre.
Côté photo, ce sera l’année du passage au grand format ! Mon chéri vient de m’offrir une chambre 4×5, et comme je m’intéresse de près aux procédés anciens et en particulier aux ambrotypes, cette année sera aussi celle des bidouillages en chambre noire.
Question hypothétique : s’il y’avait une apocalypse de zombies demain, préfèrerais-tu avoir affaire à des zombies lents mais malins ou rapides mais idiots ?
Je ne cours pas super vite… En même temps, si cela arrivait, j’irais me réfugier avec mes proches dans le Berry, on a déjà prévu le coup. Je préfèrerais sans doute des zombies bêtes mais rapides car s’ils étaient malins ils trouveraient comment rentrer à l’intérieur de la maison.

Mina Murray
X ou Y
Couleur ou noir et blanc ?
Noir et blanc.
Crime ou châtiment ?
Plutôt châtiment (rires). Je culpabilise facilement. Je n’aime pas faire du mal. Je me sentirais trop mal si je faisais quelque chose de grave. Je préfère subir plutôt que faire subir.
Ecriture ou lecture ?
Ah, écriture. J’aime bien lire mais j’adore écrire. Je m’y remets après avoir arrêté pendant longtemps.
Pikachu ou Miaouss ?
Miaouss parce que c’est un chat. Pikachu a l’air un peu con.
Trump ou Sarkozy ?
Joker.

Mina Murray
MDMA, LSD ou Cocaïne ?
J’espère que ma maman ne lira pas ça ! Je vais dire cocaïne car c’est ce qui a l’air le moins puissant. Je n’aime pas ce qui te fait complètement partir et perdre le contact avec la réalité.
Humain ou animal ?
Je pense que nous sommes simplement des animaux vêtus et dotés de parole, donc animal.
Célébrité ou postérité ?
Plutôt postérité. La célébrité peut aider, notamment à vendre, mais j’aime bien être dans l’ombre. Je n’aime pas le côté « show-off ».
Verre vide ou verre plein ?
Ah bah verre plein, c’est plus sympa !
Invisibilité ou immortalité ?
Invisibilité. Ce serait trop chiant et trop long d’être immortel.
Propos recueillis par Jean Boutros Younes le 26 octobre 2016.

Mina Murray

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