Les métiers de l’art : Pierre Creff, cofondateur de la startup Vinyl It
Bosseur acharné et mélomane passionné, Pierre Creff lance la startup Vinyl It en 2014 avec une idée : permettre aux amateurs de vinyles de se créer des disques personnalisés, avec des titres au choix.
D’où et comment t’est venu l’idée de Vinyl It et du vinyle personnalisé ?
Si l’on a créé Vinyl It avec Clément Guillot, Mathias Prost et Benoît Gayard, cela vient avant tout de notre expérience personnelle. Durant nos études post bac à Grenoble, j’avais monté avec des potes l’association musicale ONE ONE SIX, et au moment de la sortie de deux projets de l’artiste DLSM, nous nous posions la question de l’éventuel pressage en vinyle de ces disques. C’est là que nous nous sommes rendus compte que cela coûterait 1500 balles minimum. Étant une asso avec peu d’argent, nous avons vite fait le calcul et nous sommes rendus compte que nous perdrions 1000 euros dans l’affaire.
Pour le fun, j’ai donc demandé à un graveur de me faire ces deux disques en quelques exemplaires pour les potes et moi-même, et la sensation de les recevoir, d’avoir les sons que tu veux dessus, c’était quelque chose de très fort. Nous nous sommes alors dit que nous ne devions pas être les seuls « petits labels » et auto-producteurs que ça pouvait intéresser d’avoir leur propre musique en vinyle, et qu’on pourrait aussi, grâce au vinyle à l’unité, permettre aux labels qui ne sortent pas de vinyles de proposer leurs titres à l’unité. Ainsi, les gens pourraient choisir eux-mêmes les titres à mettre sur leur disque. C’est de là que part l’idée.

Pierre Creff
Tu t’es tout de suite dit : « c’est une bonne idée d’entreprise » ou est-ce quelque chose qui a mijoté ?
Ça n’a pas été aussi soudain. C’est arrivé au moment où je commençais à travailler chez Universal Music, et où il ne me restait plus que 6 mois de cours, j’avais commencé à réfléchir à mon avenir. J’étais sûr de vouloir travailler dans la musique, et de pouvoir m’en sortir dans ce milieu, qui paradoxalement n’est pas composé que de gros bosseurs.
Vous contactez donc de nombreux labels, comment se passe la relation avec eux ?
En grande majorité, très bien. Vinyl It représente un nouveau moyen de diffusion et de monétisation, donc nous sommes bien perçus, notamment par les labels indépendants.
Cependant, certains labels ne désirent pas travailler avec nous car ils ont une certaine ligne artistique et cohérence à respecter sur leurs sorties, et nous respectons cela. La difficulté est plutôt que certains labels sont très difficiles à contacter ! Lorsque le 1er contact est établi, 9 labels sur 10 sont intéressés.
Des artistes auto-producteurs qui ne sont chez aucun label peuvent également venir mettre leur musique sur notre plate-forme pour qu’elle puisse être disponible à la vente sur vinyle à l’unité.
“Les amateurs de rock achètent plus de vinyles que tous les autres.”
Et avec les majors, comment ça se passe ? Comment ont-elles reçu votre projet ?
C’est très faux-cul les majors, notamment avec les startups. Nous avons vu les trois (Sony, Universal, Warner). Elles trouvent que notre concept est « très bien » ou « génial », mais elles veulent le tester sur des artistes en développement. Alors que ce qui nous intéresse nous, chez les majors, ce sont les sorties célèbres type Stones, Beatles, etc. Ce sont ce genre de groupes que les gens veulent mettre sur vinyle et pour lesquels nous n’avons pas les droits pour le moment.
Malheureusement, un artiste en développement dans une major, ça va souvent être de la musique pour nénette de 18 ans, donc pas un public qui achète des vinyles finalement. Et pourtant, pour les majors, ce service serait gratuit et leur permettrait de dégager un nouveau revenu.
En fait, nous nous sommes rendu compte qu’aucune startup n’a signé avec les majors en peu de temps. Ces dernières attendent de voir si tu t’en sors avec les indés d’abord. Faut les comprendre aussi, on est une jeune startup, une petite équipe, on ne fait pas 12 millions de chiffres d’affaires par an, etc.
Vous avez l’avantage de savoir ce que les gens cherchent le plus à mettre sur vinyle. Que ressort-il des recherches des internautes ?
Il faut dire que les amateurs de rock achètent plus de vinyles que tous les autres.
Après, il y a deux types de profil. Le profil pour qui nous avons créé Vinyl It à l’origine : il vient chercher un artiste peu connu, plutôt pour de la musique électronique ou du très indépendant, genre punk garage pas encore sorti sur vinyle. L’autre profil est celui qui veut mettre Radiohead et Queen sur sa face A, et Bob Marley, Daft Punk et Frank Sinatra sur la face B ; et c’est dans ce cas que nous avons besoin des majors. Ce second profil représente le côté grand public de notre concept, à savoir : « mets ta playlist sur vinyle ». Cela sera possible quand nous aurons toutes les musiques et les droits qui vont avec.
Mais la musique ne se résume pas aux majors -bien heureusement-, c’est pourquoi nous continuons d’aller voir les indés et de les rallier à notre cause.
“Un disque que tu mets sur vinyle, c’est aussi pouvoir retracer sa propre histoire de mélomane plus tard.”
Comment décrirais-tu la beauté ou l’intérêt du vinyle à quelqu’un qui y est totalement étranger ?
Ma vision, c’est qu’on est submergés de nouvelles musiques, et que l’on ne peut bien évidemment pas tout écouter, même ce que l’on voudrait. Quand j’achète un vinyle, c’est pour dire : « j’arrête le temps, ce disque est une tuerie, je le veux dans ma collection et je veux pouvoir le jouer chez moi. »
Après, c’est un tout. Il y a évidemment le fait d’apprécier le disque et les morceaux qui sont dessus. Quand tu achètes un vinyle via le crowdfunding, c’est également pour soutenir directement l’artiste ou le label qui le propose. Souvent, la pochette est jolie. Et puis c’est un rituel ! Mettre ton diamant sur un objet qui est magnifique.
Faire sortir du lot un disque que tu mets sur vinyle, c’est aussi pouvoir retracer sa propre histoire de mélomane plus tard.
Enfin, il y a la question du son. Le son du vinyle est meilleur, plus chaud. Les basses vont être plus rondes, les dynamiques plus présentes, etc. Mais cela ne peut se constater qu’en club. A moins que tu aies chez toi du matos audio qui coûte une blinde, genre 3000 euros facile.

Le White Album des Beatles, pris en photo (avec le flash) en train de tourner.
Ce qui ne veut pas dire que tous les gens qui écoutent des vinyles sont forcément blindés…
Non… Blindés, non. Mais de manière générale, le vinyle reste tout de même un objet de riche. Après, c’est aussi une histoire de passion. Comme plein d’autres passions, il peut y avoir des gens aux économies modestes qui investissent dans le vinyle parce que c’est leur passion !
Nous vendons beaucoup de vinyles de dub (genre musical issu du reggae jamaïcain, NDLR), et le milieu du dub est loin de puer la thune ! Pourtant, les mecs sont prêts à mettre 40 ou 50 balles pour un disque précis.
De par son fonctionnement, Vinyl It crée en fait des pièces uniques, non ?
En ce qui concerne les vinyles personnalisés, on n’a jamais fait deux fois le même disque, enfin sauf pour les auto-producteurs qui parfois nous demandent 2 ou 3 copies.
Autrement, l’assemblage des titres et le macaron ne sont jamais les mêmes. Et depuis peu, nous proposons de personnaliser la pochette de A à Z ; il suffit que le client nous fournisse une image à mettre sur la face A et la face B.
Dans ce sens, on peut effectivement dire que chaque disque que nous produisons est unique.
“Si les imprimantes 3D permettent de la gravure sur vinyle un jour, nous serons les premiers sur le coup !”
Deux questions de profane :
un vinyle peut-il être d’une autre couleur que noir ?
Oui, le noir est la couleur naturelle de la matière, le polyvinyle. Mais en ajoutant des colorants, les vinyles peuvent être de n’importe quelle couleur, même transparent ! Étant donné que nos vinyles sont gravés et non pressés, nous proposons noir et bientôt transparent, mais pas d’autres couleurs ; cela est dû au fait que la gravure est plus difficile sur les vinyles de couleur. Il est en revanche possible d’avoir des disques colorés s’ils sont pressés et non gravés. La gravure et le pressage sont deux procédés très différents pour intégrer la musique à la matière.
L’imprimante 3D va-t-elle changer la donne dans l’industrie du vinyle ?
Je l’espère. Et je ne sais pas quand exactement, mais j’en suis persuadé. Ça change tellement d’industries, je ne vois pas pourquoi ça ne changerait pas celle du vinyle. Une femme a travaillé sur un algorithme justement capable de graver la musique sur un objet physique via une imprimante 3D, et a abandonné au bout de 5 ans en disant qu’elle avait peur que ce soit impossible -ce qui ajoute peut-être un peu de magie et de mystique à l’objet vinyle-.
En tout cas, si les imprimantes 3D permettent de la gravure sur vinyle un jour, nous serons les premiers sur le coup !
Il me semble qu’ils ont mis un vinyle dans la sonde Voyager One, en voyage dans l’espace depuis des années, non ?
Oui, un vinyle en or, pour être sûr que la matière ne soit pas abimée par le voyage cosmique ! Ils vont d’ailleurs sortir prochainement une réédition de ce disque-là en 1000 exemplaires je crois. Il ne sera pas en or mais seulement doré cette fois (rires).

Le “Voyager Golden Record” (à droite) et son couvercle (à gauche), présents dans les deux sondes Voyager.
Où en êtes-vous aujourd’hui du projet Vinyl It ?
En octobre 2016, nous avons lancé B-side, la face B de Vinyl It. C’est une plate-forme dédiée aux producteurs, musiciens et labels qui veulent que leur musique soit disponible sur les vinyles personnalisés que l’on nous commande.
Autrement, nous venons de passer la barre des 100 labels qui nous ont rejoints, et nous avons un peu plus de 6000 titres disponibles sur la plate-forme, donc c’est bien !
A côté de ça, nous sommes disquaires en ligne. Nous avons choisi 1000 disques nous-mêmes que nous vendons. Personnellement je m’occupe de la sélection reggae et dub, et mon associé Matthias du hip-hop, de la soul, du funk. Nous avons peu de rock, mais ce que nous avons est très bon !
“Le vinyle ne sauvera pas l’industrie musicale mais va redevenir un objet courant.”
Le classique en vinyle, ça se fait ?
Nous avons quelques demandes sur le site. Mais de manière générale, cela n’est pas beaucoup fait par les labels de musique classique. La demande n’est pas très élevée, et il me semble que retranscrire un bon son de musique classique sur vinyle n’est pas facile. La durée des morceaux peut également être un problème. En revanche le classique est l’un des styles qui marchent encore bien en CD.
Dirais-tu que le vinyle est à la mode ?
Oui, mais c’est plus qu’une mode. Ça revient fort depuis 2007, et ça fait 4 ans qu’on entend que c’est une mode de hipster. Ce genre de mode ne dure pas 4 ans, mais plutôt 6 mois ou 1 an.
On a aussi entendu que c’était un truc de parisien, et même si c’est vrai que de nouveaux disquaires émergent à Paris -ce qui est génial-, de nouveaux disquaires ouvrent également à Rennes, Bordeaux, Lyon, Toulouse, etc.
Quand tu vois que la Fnac et même Leclerc ou Carrefour consacrent des rayons au vinyle, cela témoigne plus d’un vrai retour que d’une mode selon moi. Le vinyle ne sauvera pas l’industrie musicale mais va redevenir un objet courant.
Je touche du bois, nous serons encore là dans 10 ans pour faire le point !

Pochette réalisée par l’artiste Léonard Combier et disponible sur Vinyl It.
X ou Y
Dub ou Reggae ?
Joker (rires).
Grande-Bretagne ou Bretagne indépendante ?
(Rires) Grande-Bretagne.
Spotify ou Deezer ?
Spotify.
Major ou Indé ?
Indé.
Macron ou Montebourg ?
Ouh ! Olala, c’est là que j’aurais dû mettre mon joker ! Euh… (soupir) Je ne voterai pour aucun des deux en plus. Montebourg ?
Tu n’as pas l’air convaincu.
Ben non… Il n’y pas l’appel au public ? (rires)
Matinal ou Nocturne ?
Nocturne !
Open Space ou bureau individuel ?
Open Space.
Leffe ou Grimbergen ?
Grim. Mais maintenant je suis au-dessus de ça ! (rires)
Alors donne-nous des noms de bonnes bières !
Brewdog ! C’est une bonne bière qui se trouve désormais en grande surface donc qui n’est pas trop cher.
Yoda ou Obi-Wan ?
Yoda.
33 ou 45 tours ?
45.
Pourquoi ?
Parce que mes meilleurs disques sont des petits 45 tours de reggae. Ce sont les disques que je suis le plus content d’avoir.
Justement, si tu devais ne garder qu’un seul disque de ta collection, ce serait lequel ?
Oh c’est chaud… Je pense que ce serait “Mandela”, un disque fait par OBF, un de mes sound system préférés. A chaque fois que je le joue en session, les gens sont comme des dingues ! J’ai des souvenirs impérissables avec ce disque et la musique qui est dessus !
Propos recueillis par Jean Boutros Younes le 29 novembre 2016.
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