All Mecen reçoit : Sophie Bonini
Après une scolarité en sport-étude et un passé de professeur des écoles, Sophie Bonini s’engage finalement dans sa passion, le théâtre. Pour ses débuts dans la mise en scène, elle réécrit Blanche Neige de manière contemporaine et lui donne d’autres saveurs : poétique, comique, initiatique… Rencontre.
D’où t’est venue l’envie de monter un spectacle jeune public ? Est-ce lié à ton passé d’institutrice ?
Oui et non. J’ai travaillé dans le milieu de la création textile, et Asako, qui a imaginé la robe de Blanche De Neige, vient de ce milieu. J’ai travaillé avec les enfants en étant professeur des écoles… Tous les univers que l’on retrouve sur la scène correspondent à des milieux dans lesquels j’ai évolué. Ce que j’aime beaucoup avec les enfants et avec les plus jeunes, c’est leur émerveillement ; les rites de passage, ces moments où ils grandissent. Le passage de l’enfance à l’adolescence m’intéresse énormément. Tout comme le passage de l’adolescence à l’âge adulte.

Charline Granger et Laurent Peyrat dans Blanche De Neige. © Stéphane Renaud Photographe
Pourquoi avoir adapté Blanche Neige plutôt qu’un autre conte ?
Des contes, j’en ai lu plein ! Les contes de Grimm, les contes russes et asiatiques aussi, que j’adore. Je voulais au départ mettre La femme oiseau en scène, mais cela a déjà été fait, et le spectacle est beau. Après avoir relu les contes de Grimm -dont certains sont absolument terribles-, j’ai commencé à en écrire un moi-même, qui n’est pas fini. En travaillant dessus, je me suis rendu compte que ce dont j’avais envie n’était pas d’écrire seulement un texte : je voulais envisager une écriture de plateau comme le fait Joel Pommerat avec ses comédiens. J’ai vu et beaucoup aimé ses réécritures de Cendrillon et de Pinocchio. Après les recherches, j’ai construit la trame de mes huit tableaux avec mes personnages et leurs problématiques. Au plateau, j’ai proposé des improvisations et j’ai poursuivi l’écriture.
C’est en discutant avec Rebecca Vaissermann (assistante à la mise en scène pour le spectacle Blanche De Neige, NDLR) et face à son agacement amusé : “Surtout, ne prends pas Blanche Neige, elle est trop nunuche. Si je me retrouvais dans une maison avec 7 mecs, hors de question que je fasse la vaisselle, le ménage, etc.” que j’ai eu envie de réécrire Blanche Neige pour qu’elle ait plus de volonté ; nous la trouvions trop passive, elle subit énormément. Ce qui me plaisait, c’était l’idée qu’elle se retrouve dans la forêt dès le départ, mais de son plein gré ; pas parce qu’elle avait été chassée par sa belle-mère. Elle ne sait pas trop comment s’en sortir, comment grandir, mais elle se jette à l’eau et s’enfuit, et c’est là que le spectacle démarre.
“Il faut faire confiance aux enfants : ils ne comprendront pas tout, mais c’est justement ce qui va les intriguer.“
Une autre chose m’ennuyait : les 7 nains. On ne sait pas vraiment qui ils sont, ce qu’ils font dans la forêt, etc. Il a donc fallu que je les transforme. Mais je ne voulais surtout pas que le salut de Blanche vienne du Prince Charmant, je voulais qu’elle s’en sorte elle-même. Les 7 nains sont donc devenus les 7 garçons. En revanche, j’ai gardé l’idée que certains garçons ne l’acceptent pas vraiment à son arrivée, présente dans le conte d’origine.
Comment faire pour rendre un spectacle jeune public intéressant également pour les adultes ?
Plusieurs lectures ! En pratique, comment écrire ? En pensant au spectateur adulte qui viendra voir le spectacle. Ne pas infantiliser les enfants, c’est parler à l’enfant que chacun porte en soi et prendre l’enfant pour quelqu’un de sérieux, sans jamais le rabaisser. Il faut faire confiance aux enfants : ils ne comprendront pas tout, mais c’est justement ce qui va les intriguer.
Blanche De Neige s’adresse à des 6-12 ans. Les petits sont happés par l’univers musical et les bruits auxquels ils sont très sensibles.

L’affiche du spectacle “Blanche De Neige”. © Agence ‘O
Peut-on envisager d’emmener des enfants un peu plus jeunes ou plus âgés que cette tranche d’âge ?
Oui, il y a une marge ! Mais pas en dessous de 4 ans. Si j’avais mis 4 ans, les parents auraient pu amener leur enfant de 3 ans, et là ça n’irait pas. Au-dessus de 12 ans, bien sûr c’est possible.
As-tu un prochain spectacle en préparation ?
Oui ! La prochaine pièce sera tirée d’un texte déjà primé de Michel Simonot Delta Charlie Delta (paru en Mars 2016), qui dans le langage militaire signifie “décédé” (DCD). La pièce est destinée à être jouée devant des collégiens et des lycéens, et des adultes bien entendu. Le texte parle des émeutes de 2005 et de la mort par électrocution de Zyed Benna et Bouna Traoré après une course-poursuite avec la police. Cela fait beaucoup écho à ce qui s’est passé récemment avec l’affaire entourant Théo Luhaka. Mais c’est un texte qui parle de la culpabilité. Les jeunes seront au centre du projet. Un des thèmes de recherche sera centré autour de cette jeunesse qui se soulève, de cette jeunesse qui est niée. Ce sera une pièce bipolaire au sens premier du terme : il y a de l’accablement et du soulèvement, de la négation et du désir. C’est une pièce vibratoire.
“Il faut que ça réveille les consciences, sans prendre parti.”
Pour Blanche De Neige, tu as intégralement écrit le texte. Comment procèdes-tu pour Delta Charlie Delta ?
C’est une écriture très poétique et la syntaxe est très nourrie et structurée, donc je respecterai le texte, son rythme surtout. Je n’ai aucune idée de la forme, mais nous commencerons le travail comme pour Blanche De Neige avec le corps et sans le texte. Avec des matériaux très différents : documentaires, films, romans, de la poésie, des expos, du sport et du son ! Le travail de création repose sur les mêmes outils. Après plusieurs créations, le processus de travail s’est affirmé. Et mon travail de préparation est de plus en plus long et précis.
Pourquoi avoir choisi de mettre en scène ce texte ?
Que ce soit pour Blanche De Neige ou Delta Charlie Delta, il y a toujours une part -infime, il faut la trouver- d’intime qui m’a poussée à faire ce choix. Il n’y a rien d’autobiographique, mais il y a une part d’intime qui fait que je suis très sensible au projet, que j’ai envie de le prendre et de l’investir à fond.
Le public sera plus âgé et le spectacle plus politique…
Oui, sans pour autant brandir l’étendard. Néanmoins, il faut que ça réveille les consciences, sans prendre parti. Dans le texte, l’auteur ne prend pas parti, il a simplement choisi de rapporter les éléments factuels du procès. Tu entends tout et tu te prends tout dans la face.

Sophie Bonini. © Stéphane Renaud Photographe
Tu as dit que ce texte résonnait avec l’actualité ; le rôle de la police est notamment soulevé dans cette affaire.
Le rôle de la police, oui. Aussi des questions autour d’une certaine forme de manipulation, de l’engagement ou désengagement des politiques. J’ai grandi à Livry-Gargan. En 2005, je ne vivais plus dans le 93, mais quelques années auparavant, je courais et jouais là où ces garçons ont couru et joué.
Quand j’entends des gens dire : “Ils sont débiles, pourquoi ont-ils franchi le mur de cette centrale EDF ? C’est évidemment dangereux !”, je ne comprends pas comment l’on peut avoir oublié notre propre jeunesse. Non, quand tu joues, tu joues ! Tu vas jusqu’au bout. Quand tu es jeune, tu te crois plus fort que tout le monde. J’aurais pu peut-être être entrainée avec mes amis de la même manière… Tu ne peux pas savoir jusqu’où ça peut aller ! Quand tu es jeune, tu ne penses pas à ça. Tu ne penses pas au fait que tu vas te retrouver grillé dans un transfo. Je ne porte aucun jugement sur ce qu’ils ont fait ; dans l’action, ils l’ont fait. Comme dans le livre, je veux exposer les faits.
Tu es amatrice de foot, il en sera également question dans le spectacle.
Au moment où Zyed, Bouna et Muhittin se mettent à courir, ils sont en train de s’amuser sur un terrain de foot. Beaucoup de jeunes qui vivent en banlieue connaissent de fortes désillusions sur la société. Très souvent, ils reportent leurs fantasmes sur leurs idoles footballeurs. L’idée du foot est aussi de créer un lien entre eux et nous, puisque nous ne parlons plus tout à fait le même langage. Nous n’avons plus le même âge que ces garçons de 16 ou 17 ans, et les comédiens non plus. Beaucoup de comédiens n’ont par ailleurs jamais franchi le périph’.
X ou Y
Debouzze ou Dubosc ?
(rires) Dubouzze !
Dubouzze ?
Oui, Jamel Debouzze. Je suis dyslexique !
Jude Law ou Brad Pitt ?
(rires) Ah, c’est beaucoup plus difficile ! Jude Law pour sa prestation dans Le talentueux M.Ripley. J’adore ce film.
Zidane ou Platini ?
Pfouuu ! Je vais dire Platini. Bah oui ! Parce que j’ai grandi avec lui. J’ai moins vécu avec Zidane. Voilà.
Catherine Deneuve ou Isabelle Huppert ?
Hmm… Catherine Deneuve. Parce qu’elle a une classe que je ne trouve pas chez Huppert, que je trouve plus sèche. Deneuve a aussi un côté glamour qui me fait davantage rêver ! Je ne rêverais pas de vivre sa vie, mais elle est devenue une sorte de légende.
Tigre ou Lion ?
Je suis très peu bêbêtes. Je ne vais pas dire que je ne vois pas la différence mais c’est presque ça. Je vais dire le tigre parce qu’il est plus majestueux et qu’il a une belle crinière.
C’est lion qui a la crinière…
C’est le lion qui a la crinière ! Mais oui, Le Roi Lion ! Tu vois je suis nulle en bêbêtes ! Au secours, les enfants vont me maudire ! Lion alors !
Nadal ou Djokovic ?
Federer ! Rien ne remplacera Roger !
Le Pen ou Fillon ?
(rires) Joker !
Luchini ou Dussollier ?
Luchini ou Dussollier…? Je ne connais pas Dussollier, mieux Luchini, qui est passé dans la même école que moi, chez Jean-Laurent Cochet. C’est un bourreau de travail, hyper exigeant et perfectionniste, ce qui est mon cas aussi. Donc Luchini !
PSG ou OM ?
Ouh ! Écoute, vu le récent match fantastique du PSG (4-0 contre le F.C Barcelone, NDLR), j’ai envie de dire Paris. On entend plus parler de l’OM. Mais l’OM de la grande époque, avec Papin et Tapis, c’était mythique. Pour moi, le PSG n’est pas un club mythique, alors que l’OM est rentré dans cette catégorie. Mais, bravo les joueurs de Paris pour leur victoire, même si hier (Bayern-Arsenal, NDLR) c’était encore plus fort, non ? C’est pas possible de planter autant de buts aussi beaux !
Shakespeare ou Molière ?
Shakespeare, without any hesitation !
Propos recueillis par Jean Boutros Younes le 1er mars 2017.
Retrouvez Sophie Bonini, sa compagnie “Les Lycaons” et Blanche de Neige sur les sites suivants :