Les métiers de l’art : Myriam Serfass, professeur de harpe
Elle a joué -entre autres- pour la Reine d’Angleterre et les 200 criminels les plus dangereux de France. Rencontre avec Myriam Serfass, professeur de harpe au parcours atypique et aux expériences étonnantes.
A quel âge as-tu commencé la harpe ?
J’ai commencé quand j’avais 7 ans.
Tes parents sont-ils à l’origine de cette initiation ?
Ma mère m’avait inscrite à l’éveil musical lorsque j’avais 5 ans au conservatoire, et après 2 ans avec la méthode Martenot j’ai choisi un instrument. J’avais vu un ensemble de harpes en concert, et j’ai choisi la harpe à la suite de ça.
A l’époque, la harpe était un instrument hors de prix. Il n’y avait que des grandes harpes très chères (environ le prix de deux 4L). Alan Stivell est arrivé quelques années plus tard avec sa harpe celtique, et petit à petit l’instrument s’est démocratisé.
De retour au conservatoire…
Oui, je m’entraînais là-bas puisque je n’avais pas de harpe à la maison – j’ai acheté ma première harpe à 25 ans-. Pendant et après mes études, on m’a proposé des remplacements en éveil musical, en solfège, puis j’ai enseigné la harpe dans plusieurs conservatoires, souvent assez loin. Contrairement à la guitare, la flûte ou le piano, il n’y a qu’un prof de harpe par conservatoire, et il est souvent à temps partiel. On est donc un peu obligés de cumuler les postes pour avoir un temps complet !
Tu as donc pas mal bougé ?
Oui, je suis titulaire dans 3 conservatoires près de Paris ! En 30 ans, on m’a proposé de participer à plein de projets très variés que j’ai le plus souvent acceptés, car ils étaient intéressants et je n’ai jamais eu envie de me spécialiser dans un type de musique, ou de seulement donner des cours.
J’ai donc fait pas mal de choses : de l’initiation musicale dans des écoles communales, des concerts en solo, de la musique de chambre, de l’orchestre, des festivals, des mariages. J’ai aussi été jouer dans des hôpitaux, des maisons de retraite, j’ai joué dans un bar à vins réputé, dans des palaces, sur des bateaux mouche, dans des musées, des châteaux, pour des soirée privées, des plateaux télé, mais aussi à la prison de Fresnes (pour les 200 plus grands criminels, on me l’a dit après), en studio pour des musiques de films (la harpe dans Bienvenue chez les Ch’tis, c’est moi), et j’ai même été invitée deux fois à jouer pour la Reine d’Angleterre.
Dans quel contexte ?
La première fois, c’était lors du centenaire de l’Entente Cordiale en 2004, à l’ambassade de Grande-Bretagne. La seconde fois c’était pour les 60 ans du débarquement, cérémonie durant laquelle la Reine a décoré 6 personnes. C’était drôle d’ailleurs, car avant la cérémonie, le responsable du protocole de Buckingham Palace m’a expliqué mon rôle : jouer de façon continue et à un niveau sonore égal ; pas trop fort pour ne pas gêner, mais pas trop bas non plus, ma musique devait empêcher le public d’entendre ce que dirait la Reine à chaque personne en la décorant. C’était vraiment pour remplir l’espace de façon élégante.
Qu’avais-tu choisi de jouer ? T’ont-ils imposé des musiques ?
Non, je pouvais jouer ce que je voulais ; j’ai choisi des musiques galloises et classiques et de la pop anglaise comme les Beatles.
Des diverses expériences que tu as eues en tant que harpiste, est-ce celle-là qui t’a marquée le plus ?
Chaque expérience est très différente et apporte sa petite touche. Une de mes expériences les plus marquantes et qui m’a vraiment touchée s’est passée un jour de Noël : j’avais entendu à la radio que le Secours populaire cherchait des bénévoles pour la journée du 25. Je me suis donc proposée, non pas pour distribuer des repas, mais pour jouer. On m’a expliqué que le déjeuner de Noël étant organisé pour les sans-abri, ça n’allait sans doute pas m’intéresser, mais j’ai fini par y jouer, et c’était l’une de mes plus belles expériences. Je n’avais jamais vu une telle écoute de la part de l’audience. Les gens étaient très touchés, et moi aussi. C’est là que je me suis le plus rendu compte du rôle que j’avais en tant que musicienne : apporter avec la musique ce quelque chose en plus qui pouvait changer la vie des autres, ne serait-ce que temporairement.
De nombreux musiciens n’aiment pas jouer des musiques “d’ambiance”, à des soirées où les gens ne sont pas là pour applaudir. Pourtant, leur rôle est très important, il y a toujours des personnes qui écoutent, et on y apprend beaucoup. Le métier de musicien est très large, il y a des solistes virtuoses qui s’entraînent des mois pour préparer un concert, des musiciens de rue, des musiciens de variétés, de rock, de jazz, de musique traditionnelle… Leur bagage et leur vie sont très différents. Chacun a sa particularité, moi j’aime bien toutes ces facettes.
Si la harpe est effectivement associée à la richesse et à l’ancienneté, c’est aussi parce que c’est un instrument qui date, non ?
Oui, la harpe daterait de la préhistoire en fait ! (rires) Elle serait arrivée peu après les arcs, dont on aurait remarqué les sonorités des fils tendus. On en a retrouvé dans des sépultures en Mésopotamie. Dans l’Égypte ancienne, c’est un instrument sacré qui permet de communiquer avec les dieux.
Elle est présente au Moyen-Age et dans les pays de tradition celtique. En Amérique du Sud, elle a été apportée par les Conquistadores, et est très vivante dans les pays andins. Au Venezuela, la harpe est partout, et ce n’est pas pour les jeunes filles graciles, c’est un instrument de cowboy ! Des concours sont organisés pour déterminer qui est le meilleur dompteur de chevaux, et ensuite qui joue le plus vite de la harpe (rires). Et dans plusieurs pays d’Afrique noire, les joueurs de harpe kora sont les griots (personne ayant pour fonction de raconter des mythes, de chanter ou raconter des histoires du temps passé, NDLR). L’image aristocratique de la harpe en France vient de Marie-Antoinette qui en jouait. C’est elle qui a rapporté la harpe à la cour de Versailles, et tout le monde a voulu l’imiter.
La harpe en autodidacte, c’est possible ?
Oui, tout est possible, ça dépend de ce que l’on veut jouer. Mais en France, pour devenir harpiste professionnel en classique ou en jazz, il faut suivre la filière des conservatoires.
Justement, en tant que prof, ton approche est plutôt classique ?
Mon approche est classique dans la technique, dans la posture, et classique également dans le sens où les élèves lisent la musique, ce qui leur garantit une certaine autonomie. Après, je ne leur enseigne pas que de la musique classique. Je leur apprends à improviser, s’écouter, s’accompagner. Le but étant qu’ils puissent se débrouiller tout seuls après quelques années.
Est-ce un instrument avec lequel tu atteints vite des résultats plaisants pour l’oreille ?
La harpe ressemble au piano de ce point de vue-là : avec la clef de sol et la clef de fa, la main gauche et la main droite. Harpo Marx (acteur et harpiste américain d’origine alsacienne, NDLR) disait d’ailleurs que le piano à queue est une harpe dans un cercueil (rires). Dès les premières leçons, on apprend des morceaux à un ou deux doigts, mélodie et accompagnement. Ensuite tout dépend de la motivation de l’élève, de son âge, du temps qu’il passe à s’entraîner… Beaucoup de choses rentrent en ligne de compte !
Quel est le musicien ou la musicienne que tu admires le plus et pourquoi ?
Il y en a beaucoup, pour des raisons très différentes, mais disons tous ceux qui, quels qu’ils soient de par le monde, élèvent l’âme de ceux qui les écoutent.
Ton morceau classique préféré ?
Quand j’étais ado, j’écoutais en boucle les Danses de Debussy, Rhapsody in Blue de Gershwin, la Symphonie du Nouveau Monde de Dvorak, l’Oiseau de Feu de Stravinsky, le Concerto pour harpe de Boieldieu, et le Concerto en Sol de Ravel. Je les aime toujours.
Morceau ou arrangement pour ceux qui veulent découvrir la beauté de la harpe ?
Je pourrais écrire un chapitre là-dessus !
Les Danses de Debussy, Introduction et Allegro de Ravel, le Concerto de Boieldieu, Impromptu Caprice, Georgia on my mind par Jakez François, Alan Stivell à qui les harpistes doivent beaucoup, par exemple Olympia 1972…

Alan Stivell © Pierre Verdy
Si ça n’avait pas été la harpe, quel instrument ça aurait été ?
Je ne me suis jamais posé la question… Un instrument à cordes pincées sans doute. J’aime le son de clavecin, sitar, koto, kora, luth, kanoun, tympanon, cithare, banjo, mandoline…
Sinon les cordes vocales peut-être, pour les facilités de transport ! (rires)
A choisir, préfèrerais-tu savoir jouer de tous les instruments comme une soliste ou savoir parler toutes les langues comme ta langue maternelle ?
Ah… Cruel dilemme… Les deux c’est pas possible ? Alors 5 instruments comme une soliste et 5 langues c’est bon ?
A la réflexion, je prends “tous les instruments comme une soliste”, c’est plus rapide d’apprendre une langue étrangère qu’un instrument de musique.
X ou Y
Beethoven ou Bach ?
Bach, Ravel, Stravinsky, Brahms, Dvorak, Scarlatti, Lulli, Gershwin, Debussy, Mozart, Beethoven, Chopin et tous les autres.
Science ou Religion ?
C’est délicat… ça dépend de la définition qu’on en donne. Ça dépend surtout de ce qu’en fait l’être humain.
Jazz ou Rock ?
Les deux, et d’autres musiques aussi. Avoir l’esprit rock avec le comportement jazz (écouter, respecter, improviser, innover), ou l’esprit jazz avec le comportement rock, nous sommes faits de tant de choses.
Chat ou Chien ?
Plutôt chien, on peut faire des balades.
David Bowie ou Freddy Mercury ?
Bowie, il est de ceux qui ont révolutionné le monde musical et artistique.
Majeur ou Mineur ?
Plutôt mineur.
Do ou Fa ?
Do, c’est plus simple pour presque tout le monde. Sinon tu connais le Fado ?
Thé ou Café ?
Thé vert, Sencha ou Genmaicha.
Brassens ou Aznavour ?
Brel ? Trenet, Gréco, Piaf, Barbara, Vian, Arletty, Montand, Reggiani, Aznavour, et les autres.
Résilience ou Résistance ?
Résistance d’abord, et ensuite résilience. En d’autres termes, fighting spirit for peace !
Propos recueillis par Jean Boutros Younes le 16 décembre 2016.
Retrouvez Myriam Serfass sur les sites suivants :
https://myspace.com/harpeventsparisetmyriamse/music/songs
https://www.facebook.com/MyriamSerfassHarpist/