All Mecen reçoit : Vincent Bousserez, Thomas Bouzanquet, Jean-Baptiste Perrot
A l’occasion de l’exposition Instincts #1, trois des artistes exposés se sont prêtés au jeu de l’interview croisée. Rencontre avec Vincent Bousserez, Thomas Bouzanquet et Jean-Baptiste Perrot.
Depuis combien de temps créez-vous ?
Jean-Baptiste Perrot : Ça fait un peu moins de 20 ans. J’ai 45 ans et j’ai commencé à créer peu de temps après mon arrivée à Paris. C’est cette arrivée dans la capitale qui m’a fait découvrir ce qu’était une pratique artistique contemporaine. Jusqu’alors, j’avais une culture artistique “de province” et je dis ça sans mauvaise intention : je viens d’une ville où à l’époque les galeries d’art n’avaient pas droit de cité et où le musée municipal -certes de qualité- n’exposait que l’art lié à l’histoire de la ville.
Vincent Bousserez : J’ai commencé à créer et à exposer après l’adolescence. Entre mes 16 et 21 ans, je ne faisais que du dessin, je ne pensais qu’à ça. Après ça, je suis rentré dans la vie active et d’autres univers. La photo m’est tombée dessus à 27 ans, lors d’un long voyage en Asie.
Thomas Bouzanquet : Pareil, cela a commencé à l’adolescence, mais avec la musique. Je faisais beaucoup de batterie en tant qu’amateur. De la batterie, je suis passé au clavier, puis à la guitare. Je cherchais des sonorités, je composais un peu. J’ai aussi eu une phase photographie. J’ai eu la chance de pouvoir beaucoup voyager, ce qui m’a poussé à faire des carnets voyage, dans lesquels j’ai commencé à dessiner. Tout ça s’est fait petit à petit.
Pour ce qui est de la peinture, ça a été fulgurant. Je faisais des études de sciences humaines à Madrid quand j’ai découvert l’œuvre de Juan Gris. Son tableau Violon et guitare a été comme une porte ouverte pour moi ; c’était comme si l’on me disait : “allez vas-y, fonce, prends tes pinceaux et lance-toi”.

Violon et guitare – Juan Gris
Tu avais déjà peint ?
T. Bouzanquet : Jamais. C’était un plongeon total. Le soir-même de ma découverte de la toile de Juan Gris, je me suis acheté le strict minimum et j’ai commencé. J’ai fait ma première nuit blanche de peinture cette nuit-là.
JB. Perrot : Pour rebondir sur ce que dit Thomas : je n’ai jamais pensé que je pourrais être artiste -et je n’en avais pas vraiment le désir- mais c’est en voyant la diversité des propositions artistiques à Paris que j’ai ressenti ce sentiment : tout pouvait être art à partir du moment où l’on y mettait une intention. Un jour, de manière un peu hasardeuse, je me baladais sur le port du Havre et suis tombé sur une déchetterie de plaques de plexiglas. J’ai ramené des chutes à Paris et j’ai commencé à les travailler. C’est là que je suis parti dans quelque chose qui me dépassait : la matérialisation d’une pensée par la matière.
Quelle est la réaction la plus étrange que quelqu’un ait eue devant l’une de vos créations ?
T. Bouzanquet : Je n’ai pas d’exemple notable en tête, mais c’est à chaque fois un plaisir d’être confronté à la réaction directe et brute d’un spectateur face à ton travail. En l’occurrence, j’aime jouer avec le mouvement et l’idée que ma peinture puisse se regarder de tous côtés. Quand la personne regarde la toile, moi je regarde la personne ! Je regarde sa manière de tourner la tête, d’aller chercher son sens, de trouver en elle les moyens d’interpréter tout ça ; tu vois bouger son corps en fait !

Thomas Bouzanquet
V. Bousserez : Ma série “Plastic Life” mettait en scène des personnages miniatures de plastique intégrés dans des éléments à notre échelle. Cette série a souvent fait sourire, et a relativement peu dérangé, elle est assez douce et convenait à beaucoup de monde, peut-être même trop. Un jour, un type m’aborde et me dit : “Wouah c’est génial ce que tu fais, est-ce que tu pourrais me créer une partouze avec plein de personnages ?”

Amour – Vincent Bousserez
Il s’est avéré que c’était un grand collectionneur, et m’a donc commandé cette partouze géante en me disant que mon prix serait le sien. J’ai donc disposé mes petits personnages sur les deux gros seins bien refaits d’un modèle -bien réel-, pris une photo de la mise en scène et livré la commande (rires) !
JB. Perrot : J’ai en tête une expérience assez douloureuse pour moi. Une forme d’incompréhension d’une partie du public par rapport à un projet que j’ai réalisé. C’était une série que j’avais appelée à l’époque “Twin Tower Jumpers”. J’avais extrait de vidéos du net des photogrammes de personnes sautant des Twin Towers le 11 septembre 2001. J’essayais d’appuyer un élément de ma réflexion qui était la question du choix, du déterminisme ou du libre arbitre. Et dans ce cas précis, les individus avaient à choisir entre la mort ou la mort -brulé ou défenestré-. Cela montrait le cas extrême du non-choix.
V. Bousserez : J’avais vu ton expo d’ailleurs, c’était magnifique.

Jumper – Jean-Baptiste Perrot
JB. Perrot : Cette représentation de ces corps en chute était minimaliste, mi-figurative / mi-abstraite, ce qui ne rendait pas la scène réaliste. On m’a cependant reproché d’avoir utilisé et exploité la douleur d’individus, ainsi qu’une certaine forme de voyeurisme, alors que ce n’était pas du tout mon intention.
V. Bousserez : Tu t’attendais à cette critique ?
JB. Perrot : Absolument pas.
Parlez-nous des œuvres que vous allez exposer pendant Instincts #1.
JB. Perrot : Les photos que je vais exposer font partie d’une série qui naît d’une histoire plutôt rigolote : en 2010, j’ai été invité à exposer à New York avec d’autres artistes parisiens, mais mes œuvres ne sont pas arrivées en temps et en heure à la date du vernissage, et ce à cause de l’éruption du fameux volcan islandais au nom imprononçable et des problèmes de trafic aérien que celle-ci avait causés. Quelques mois plus tard, je me suis dit qu’il fallait que j’exorcise cet événement, qui quelque part m’avait empêché de réaliser un rêve : celui d’exposer pour une 1ère fois à New York. Je suis donc retourné à New York pour effectuer un travail photographique que j’ai appelé I try to kill the volcano (“J’essaye de tuer le volcan”, NDLR).

I try to kill the volcano – Jean-Baptiste Perrot
V. Bousserez : L’une des séries que je vais exposer -pour la première fois- s’appelle : L’étude de la solitude. J’ai fait un aller-retour seul et en 36 heures dans le cercle polaire, entre la Finlande et la Russie, sur une petite montagne balayée par le vent. J’ai passé une nuit à photographier des arbres entièrement congelés, et qui à cause de la neige, du vent et du froid, ne ressemblent aucunement à des arbres. On se retrouve face à des sortes de monstres dont on ignore la taille.

Étude de la solitude – Vincent Bousserez
T. Bouzanquet : J’exposerai plusieurs toiles de ma série “Polyphonie”. Cette série, assez variée, est du pur laisser-aller : aucune préconception, aucun travail pré établi. La conception et la réalisation ne font qu’un. Je commence avec un chaos pictural, différentes matières, différents pigments. Je fais tourner la toile au maximum, je la change de sens, etc. C’est un travail qui se fait aussi beaucoup par accident. Je n’ai aucune idée de comment la toile se terminera au moment où je la commence. C’est la toile qui m’emmène quelque part et non l’inverse, et cette sensation est un vrai plaisir !

Thomas Bouzanquet
X ou Y
Science ou Religion ?
V. Bousserez : Pour moi c’est instantané : science !
JB. Perrot : Science. Je suis agnostique et rationnel, même si j’ai un côté un peu mystique et que la science ferme un peu les choses.
T. Bouzanquet : Science ou religion ? Science. Science ou spiritualité ? Spiritualité.
Chat ou Chien ?
JB. Perrot : Joker. Ça ne me questionne pas.
V. Bousserez : Chat, pour son côté indépendant.
T. Bouzanquet : Je rejoins Vincent pour le côté indépendant du chat, qui fait sa vie quoiqu’il arrive.
Alcool ou Cannabis ?
JB. Perrot : Alcool.
V. Bousserez : Alcool. Le vin est l’une de mes passions !
T. Bouzanquet : Les deux (rires), mais l’alcool pour le côté convivial.
Van Gogh ou Dali ?
V. Bousserez : Dali.
JB. Perrot : Van Gogh, pour la texture de sa peinture, la profondeur de son empattement.
T. Bouzanquet : Dali pour le rêve et son univers fantasmagorique !
Zinedine Zidane ou Teddy Riner ?
V. Bousserez : Riner, direct.
JB. Perrot : Pareil. J’aime la flamboyance du bonhomme.
T. Bouzanquet : Je dirais Zidane, par respect pour l’été de mes 8 ans, la dernière fois que je me suis intéressé au sport (rires).
Gandhi ou Dalaï-lama ?
T. Bouzanquet : Gandhi, pour sa non violence, et tout ce qu’il a théorisé et mis en place là-dessus.
V. Bousserez : Dalaï-lama. Autant je ne suis pas du tout religion, autant je pense que le bouddhisme amène à une vraie paix intérieure.
JB. Perrot : Gandhi, pour le résultat de son action.
Solitude et Compagnie ?
V. Bousserez : Jongler entre les deux et profiter des deux !
JB. Perrot : Pareil.
T. Bouzanquet : Plutôt solitude. Elle me nourrit énormément. Je n’ai pas un besoin absolu d’être seul, mais je suis bien. J’aime ce silence et cette concentration.
Superstition ou raison ?
JB. Perrot : Raison, sans hésitation.
V. Bousserez : Pareil.
T. Bouzanquet : Mystère.
Rock ou Classique ?
V. Bousserez : Trop dur. Joker (rires).
T. Bouzanquet : Joker aussi.
JB. Perrot : Je serais plutôt électro que rock. Mais je ne peux pas dire classique non plus. Trop compliqué.
Libre arbitre ou déterminisme ?
JB. Perrot : Ah bah libre arbitre. Mon travail tourne autour de ça.
V. Bousserez : Bien sûr, libre arbitre.
T. Bouzanquet : Et l’on se bat contre ses propres déterminismes.
JB. Perrot : C’est ça qui est dur !
Propos recueillis par Jean Boutros Younes le 17 août 2017.
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